Par Jean-Louis Fabiani
Illustrations Elish
Depuis la fin des années 1960, le militantisme s’est considérablement transformé : on est passé de formes établies, comme l’adhésion à vie à un syndicat, la grève et la manifestation, à un nouveau répertoire d’action, qui recherche plus l’aspect spectaculaire et personnalisé de l’expression protestataire que la dimension massive. Le thème de l’identité est devenu central alors que celui de l’unité des travailleurs ou des masses a régressé, au moment où les « causes » se multipliaient.
«
Le militantisme moderne est né de la nouvelle organisation du travail
»
Au cours des cinquante dernières années, les manières de s’engager pour une cause ont significativement changé. Les débuts du capitalisme industriel en Europe à partir du milieu du XIXe siècle ont vu apparaître des formes organisées de protestation que la concentration des travailleurs en un même espace rendait possibles : les lieux de travail et les lieux d’habitation étaient contigus; les taches présentaient les mêmes caractéristiques ainsi que les revendications sur le niveau des salaires et les conditions de travail, notamment sur sa durée au cours de la semaine. Alors que les mouvements antérieurs au capitalisme étaient liés à des événements singuliers, particulièrement à propos du prix du pain et des céréales, et qu’ils prenaient la forme de révoltes sporadiques et peu coordonnées entre elles, surtout dans le milieu rural, la première révolution industrielle a donné naissance à une configuration inédite des formes protestataires : la présence collective des ouvriers a permis la communication plus rapide des informations ainsi que l’émergence de formes nouvelles de solidarité. Alors que les révoltes préindustrielles n’avaient pas de cible clairement désignée, le lieu de travail voyait se concrétiser un adversaire qui prenait la forme du patron ou du chef d’atelier. Cette force collective nouvelle, dont les premières manifestations furent férocement réprimées par l’armée dans toutes les nations industrielles, dut pour s’installer dans la durée inventer de nouvelles formes, comme l’arrêt de travail ou la manifestation, mais aussi de nouvelles fonctions, comme celles de coordination et de porte-parolat. […]
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