Photographies Lea Eouzan-Pieri
Texte Jean-Joseph Albertini
Pour infinir les images
Il est fort probable qu’aucune image n’ait jamais été terminée.
D’abord parce que celui qui la regarde évolue sans cesse. Parce que le support lui-même évolue.
Parce que le sujet est sans arrêt soumis à des interprétations. Parce que les époques, les styles changent le statut du sujet. Parce que la fonction des images change. Parce que les images fonctionnent les unes avec les autres.
Parfois contre. Parce que ce que nous voyons nous renvoie à d’autres images, pour certaines enfouies dans notre perception. Parce qu’au fond des images, il y a le souvenir, qui au prétexte de la précision, échappe aux images qui voudraient l’enfermer. Il y a toujours un hors-champ qui en dit plus que ce qui est montré. Un même souvenir ne donne pas la même image pour deux regards différents. Une même image ne donne pas le même souvenir.
Il y a dans cette série que nous montre Lea Eouzan-Pieri quelque chose qui nous regarde plus que nous le regardons.
Cette possibilité d’ouvrir démesurément la mémoire au-delà de ce que nous tenons pour vrai parce que cela a été, un jour, photographié. Preuve de vie, dit-on. Mais quel souvenir surgit au contact de deux, quatre, dix images qui semblent à ce point nous concerner, alors même que nous n’en avons photographié aucune d’elle, que nous ne reconnaissons pas les personnes figurées, que nous n’avons jamais parcouru ces lieux ? D’où vient cette étrange familiarité ? Comment puis-je me sentir concerné par ce que je n’ai ni vu, ni vécu, et qui pourtant me rappelle tant de sensations et de souvenirs enfouis. […]
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