Petite fille, ma grand-mère me donna deux conseils : le premier, Si tu ne veux pas souffrir ne regarde jamais par le trou de la serrure, et le deuxième,  Observe toujours l’eau de tes rêves, c’est ce qui te guidera dans tes décisions. Si tu rêves d’eau impure, ajoutait-elle, ton choix n’est pas le bon. L’eau claire, au contraire, t’indiquera le chemin. 

Bien que je n’aie compris que bien plus tard les avertissements de grand-mère, je n’ai jamais oublié ces mots. Lorsqu’aujourd’hui je repense à elle, c’est le goût du sel que je retrouve dans ma bouche, moins à cause d’une amertume métaphorique – celle, compréhensible, d’avoir perdu la personne qui m’a le plus protégée au monde – qu’au sens propre : l’embrasser me gerçait les lèvres, tant sa peau était salée. La maison où nous vivions, grand-mère, mes cinq sœurs et moi, ouvrait d’un côté sur le port de pêche, de l’autre sur la mer vive. Les vagues venaient lécher le seuil de notre cuisine, si bien qu’il suffisait d’en ouvrir la porte pour y plonger. Mon enfance avait été heureuse jusqu’à ce que, le matin de mes dix ans, papa et maman s’évanouissent. Littéralement, comme une étoile qui file, un souffle qui s’éteint. Ils avaient appareillé sur notre voilier – c’était leur manière de se retrouver seuls car ils s’aimaient comme au premier jour, ces deux-là, malgré les années et leurs six enfants – et nous ne les avions plus revus. Le bateau avait été retrouvé des semaines plus tard, ondoyant tranquillement sur les flots. Vide. À bord, toutes leurs affaires étaient bien rangées en cabine. Il ne manquait rien, même pas le jeans de maman qui lui faisait de si jolies fesses, et le t-shirt préféré de papa, le dernier de son ancienne vie aux States. […]