Le corps au temps de la

dématérialisation

Par Dominique Memmi
Photographie Istock

Face au corps tiraillé entre le monde sensitif d’hier et l’automatisation du présent, l’autrice en appelle aux forces poétiques des mots et des gestes.

«
Une sorte de malaise s’emparait de mon corps, d’abord un léger tremblement des mains qui gagna ensuite mes bras, ma poitrine, mes jambes et se transforma en un flot de larmes.
»

L’autre jour, je devais me rendre à la nouvelle poste de mon quartier pour y déposer un chèque. J’arrive et découvre que le bureau était désormais complètement automatisé. Je cherchai désespérément Bernard, celui que je nomme volontiers « Mon Bernard », le postier le plus humain et le moins protocolaire qui soit ; un employé qui refuse l’absurdité de vous réclamer à chaque transaction votre pièce d’identité pour la simple et bonne raison qu’il vous connaît depuis vingt ans. Aussi, ne le voyant pas derrière son comptoir – soit dit en passant il n’y a plus de comptoir – je le demande. On me répond qu’il est parti en retraite et que c’est mieux ainsi du fait que Bernard n’aurait jamais pu supporter cette nouvelle façon de travailler. On m’indique alors une machine, un gros ordinateur tactile sur lequel je dois taper mon numéro de compte, le montant de mon chèque, valider l’opération tout en glissant ledit chèque dans la fente adéquate, sorte de bouche mesquine de l’appareil. Je m’exécute. Et là, vlan ! 

La machine s’interrompt et l’écran lumineux me signale que la manipulation est interrompue pour cause de réinitialisation du système. Je me retourne vers l’unique postier qui court d’une machine à l’autre et clame haut et fort : 

Il y avait vraiment de quoi être furieuse. Au lieu de ça, toujours debout devant l’infernale machine, sans aucune possibilité de m’asseoir – il semble que l’homme du XXIe siècle soit voué à la verticalité et à la mobilité – je me mis à vaciller. Une sorte de malaise s’emparait de mon corps, d’abord un léger tremblement des mains qui gagna ensuite mes bras, ma poitrine, mes jambes et se trans- forma en un flot de larmes. […]

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