Saveriu déboula de la Sculiscia comme un animal fou, retenant d’une main sa casquette pour l’empêcher de s’envoler. Le bruit de ses pas sur le pavé résonnait contre les façades des immeubles endormis. Dans son dos, les cloches de l’église de l’Annonciation sonnèrent 22 heures. Il n’avait rien à faire dehors à cette heure, il le savait très bien, mais c’était le curé qui l’envoyait et un ordre du curé, ça ne se discutait pas. Il traversa l’extrémité de la place Paoli sans ralentir et tourna à droite pour s’engouffrer dans les Lubiacce. Il serait chez le maire dans quelques minutes et sans doute qu’il le réveillerait, mais il ne venait pas de la part de n’importe qui, et il espérait ne pas être grondé trop fort.

Sa soirée, qui avait pourtant débuté normalement, avait tourné au vinaigre quand ses parents avaient commencé à se disputer. C’était toujours la même engueulade : son père rentrait de sa journée en sentant un peu trop fort le vin, sa mère se mettait à crier, son père répondait et en quelques secondes, les objets et les insultes volaient. Ensuite il y avait deux possibilités : soit le père repartait en claquant la porte derrière lui, soit tous les deux s’enfermaient dans leur chambre. Ce soir-là, Saveriu n’avait pas eu envie d’attendre jusque-là et il était sorti. Il avait traversé la belle esplanade Saint-Théophile que l’on avait inaugurée deux ans plus tôt et il était allé traîner du côté de l’église. C’est en passant devant la lourde porte en bois demeurée entr’ouverte qu’il avait entendu la discussion – plutôt animée – du curé avec le premier prieur de la confrérie Saint-Joseph. Il avait passé la tête dans l’entrebâillement et comme le curé tournait le dos à l’autel, il l’avait immédiatement aperçu. D’abord il avait voulu l’enguirlander, puis il s’était repris, et l’avait envoyé quérir le maire « le plus rapidement possible ». […]