I
L’éditeur trimbalé

Ponte-Leccia, août 1990

Au niveau du rond-point, après l’église du Sacré-Cœur, Pierrat coupe le moteur sur le terre-plein bétonné qui sert de parking aux clients du Carré d’As. 

Sa Citroën Visa paraît minuscule entre les hauts pickups garés de part et d’autre. Leurs roues boueuses et la tôle cabossée des portières trahissent les trajets cahoteux sur les sentiers du coin. Rien à voir avec les voitures alignées, le matin même, dans les rues endormies du 7^e arrondissement, lorsqu’il a déserté Paris aux premières heures du jour.

Pierrat n’a pas l’habitude des voitures de location, parfumées à la menthe ou au citron, ni de ces routes en lacets qui s’amusent à danser autour des montagnes escarpées. Il n’a pas dormi plus de trois heures, le temps d’éplucher au bureau les archives de l’honorable maison d’édition où il œuvre depuis vingt ans à l’enrichissement du plus fabuleux catalogue de la littérature française. Ses paupières sont lourdes. Sa bouche molle et pâteuse. Il éprouve soudainement tout le poids de son corps dont l’épuisement s’empare. […]