Ils s’étaient lentement éloignés l’un de l’autre. Tels deux continents formant à l’origine un unique espace à l’intérieur duquel mots, émotions, idées circulaient sans obstacle bien qu’avec parcimonie, ils s’étaient mis à dériver en sens opposé. Le mouvement avait été si régulier qu’il était passé inaperçu. Jusqu’au matin du drame.

Face à son fils pendu, Jean s’était soudain retrouvé en déséquilibre au bord d’une terre qu’il avait toujours crue infinie. De l’autre côté d’un gouffre immense, à portée de main pourtant, le corps nu de Pierre-Antoine se balançait dans le vide, tournant un peu sur lui-même afin, aurait-on dit, que son père ne perde rien de l’éprouvant spectacle. Qu’il le voie sous toutes les coutures, l’objet de son rejet et même pire, de son mépris ! Dans l’obscénité de l’aube poudreuse et dorée, bien trop douce pour ce qu’elle venait éclairer sans pudeur, les tatouages et les piercings du petit – un homme, en fait, pesant lourd au bout de la corde que Jean reconnaissait pour en avoir acheté quelques mètres une semaine auparavant – lui apparaissaient d’une telle étrangeté qu’il en éprouvait un dégoût profond, même à cet instant, même transpercé par la douleur et le constat de son tragique échec, de la perte irrémédiable que lui, âne bâté, misérable qu’il était, avait laissée advenir. […]