Il y avait du sang par terre, mais, pour une fois, ce n’était ni le sien ni celui de sa mère. En général, il se couchait au sol et la peur faisait le reste. Il subissait pétrifié la volée de coups infligée par son père, mais ce jour-là, il avait esquivé et la main de son géniteur s’était écrasée contre la cloison de plâtre. Un élan de courage ou le cancer qui avait ôté à l’homme sa dextérité habituelle. Il esquiva et riposta d’un coup de poing qui le fit tomber à terre. Raphaël avait mis dans ce direct tout le poids de la lâcheté qui avait régi sa vie jusque-là. Brusquement, il se sentit libéré. Il aurait pu l’achever à coups de pied et épargner à l’hôpital public l’inéluctable et coûteuse euthanasie que son état lui promettait. Il se contenta de lui cracher au visage et de tourner le dos à cette partie de sa vie.

Raphaël débarqua un jour d’automne. Il avait alors vingt-cinq ans. Le ciel était gris et le village désert. Il ne l’avait jamais vu ainsi et n’avait même jamais imaginé qu’il pût avoir un autre visage que celui de ses souvenirs estivaux. Alors qu’il cherchait dans son trousseau la clé de la maison familiale, un homme l’interpella :

« Vous cherchez qui ?

Personne. Je suis Raphaël, le fils de Catherine.

Ah, Raphaël… Tu t’appelles comme ton grand-père… On ne t’a pas vu pour l’enterrement, ta mère non plus. » […]