Entretien avec

Julie Perreard

Propos recueillis par Xavier Affre
Photographies Elisa Timotei

En plein montage de son nouveau long-métrage documentaire, consacré à la violence sexiste et sexuelle faite aux femmes, la cinéaste corse Julie Perreard prend le temps de nous parler de ses projets, de ses inspirations et de nous livrer son regard sur le cinéma insulaire, où la voix des femmes se libère, mais reste encore trop timide. Et de ses propos – tout comme de ses œuvres sensibles et sensorielles qui transforment des histoires locales en récits universels – une passion transparaît : celle de l’humain avant tout.

«
Le cinéma se pose indéniablement comme le reflet de la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle évoluent les cinéastes
»

Qui Magazine - Vol.10 - Le cinéma corse - Julie Perreard

Quì / Quel regard portez-vous sur le cinéma et la création insulaires aujourd’hui ?

Julie Perreard / Je crois que le cinéma insulaire est vivant, dynamique, et ce depuis 15 à 20 ans maintenant. En fait, il « rebondit », après les premières œuvres des années 70, issues du collectif Cinemassociu. Je remarque qu’ici en Corse, les réalisateurs et réalisatrices (de courts-métrages pour la plupart, mais aussi de longs), parlent depuis leur « territoire », qui est très présent dans leurs films, territoire rural et périurbain (constitutif de notre environnement) dont ils s’emparent et qui devient sensible. Les villes, Ajaccio notamment, ont aussi été investies dernièrement par les cinéastes, comme Thierry de Peretti ou Toussaint Martinetti. Mais même là, il y a quelque chose d’organique dans la mise en images. J’ai la sensation que c’est ce rapport physique, sensoriel à cet environnement insulaire, qui ferait la singularité du cinéma corse. On le retrouve dans le cinéma sarde, le cinéma libanais, ou d’autres cinémas méditerranéens. En revanche, je sens que nous avons encore du mal à nous départir du poids d’un regard, d’un discours, d’une idéologie, venus de l’extérieur, de Paris en particulier, portés sur nous et à partir desquels ou contre lesquels nous allons construire nos récits, et, à partir desquels nous avons construit notre propre mythologie. Je crois qu’il nous faut encore acquérir une liberté d’analyse et de narration. Qu’il faut prendre du recul sur ce que nous sommes, et le cinéma permet cela, pour mieux nuancer notre regard sur nous-mêmes et mieux réaliser notre autocritique, si nous le souhaitons, bien entendu. Ce qui nous permettrait d’aborder par exemple d’autres thèmes que celui trop récurrent, à mon goût, de la violence (nationaliste, mafieuse) et de la vengeance. Violence pour laquelle, par ailleurs, la frontière entre dénonciation et fascination est parfois poreuse chez certains cinéastes. […]

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