La macagna :
"plus c'est gros, plus ça passe"

Par Alexandra Profizi
Illustrations Gabriel Leonard

La macagna est une forme d’humour profondément ancrée dans la culture corse, semblable à un pacte tacite. En être la cible est presque un rite de passage, surtout pour les touristes, qui en font parfois les frais sans même s’en rendre compte. De quoi la macagna est-elle l’exutoire ?

«
En Corse, on célèbre un humour qui ose dépasser les limites du réalisme pour mieux duper son bouc émissaire
»

Macagna - Dossier l'humour corse - Quì magazine vol 9

Lors d’une performance scénique dans laquelle elle revenait sur les moments décisifs qui l’ont conduite à devenir autrice, la romancière et poétesse Cécile Coulon a relaté un épisode survenu dans son enfance. C’était un jour de Noël, sa grand-mère s’affairait en cuisine depuis le début de la journée. Elle trônait devant ses casseroles, la cuisine débordant des mets typiques d’un repas de Noël en famille, tandis que la petite Cécile traînait dans ses pattes. Observant la plus grande des marmites sur le feu, l’enfant demanda à sa grand-mère ce qui cuisait à l’intérieur. Sa grand-mère, certainement lasse de devoir s’occuper de la petite en plus de préparer le repas pour toute la famille, lui répondit d’un ton désinvolte : « un autruchon ». « Un autruchon ?? » s’exclama l’enfant. « Oui, le bébé de l’autruche », précisa la grand-mère. Cécile, davantage habituée à manger de la dinde à Noël, passa alors les heures suivantes dans l’angoisse, ne pouvant détacher son esprit de la grosse marmite fumante. Un supplice. Après quelques entrées classiques, huîtres, blinis, foie gras et autres toasts, vint le moment redouté du plat de résistance. Quand la grand-mère déposa sur la table une énorme dinde, la famille explosa de rire en voyant la tête déconfite de la petite Cécile. Elle n’en croyait pas ses yeux, mi-choquée mi-émerveillée que sa grand-mère bien-aimée ait pu lui tendre un tel piège, de concert avec tous les membres de la famille, s’amusant de sa crédulité et de sa naïveté d’enfant. Voilà. C’est à ce moment précis qu’elle réalisa qu’elle voulait faire exactement cela plus tard : raconter des histoires aux gens, et qu’ils y croient. Peu importe si le mensonge est aussi gros qu’un autruchon.
« Le plus incroyable, ajoute-t-elle sur scène des années plus tard, c’est que plus c’est gros, plus ça passe ». À l’écoute de ce récit d’enfance, je ne pus m’empêcher de remarquer que la petite farce de sa grand-mère auvergnate ressemblait en tout point à ce que l’on appelle chez nous la macagna.

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